Cefri-Jung Champagne - Cercle francophone de recherche et d'information Carl Gustav Jung de Champagne

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Cefri-Jung Champagne : orientations générales

Ouverture et conjonction d'opposés.

«La découverte des archétypes est de plus en plus en voie de fonder une nouvelle anthropologie
Marie-Louise Von Franz

«La question [est] de savoir si la situation actuelle exige de nous une nouvelle metanoia, une nouvelle conversio, un nouveau changement radical de mentalité ou conversion, au lieu d’une imitatio renouvelée ou modernisée.»
Raimón Panikkar

«La solution du processus d’aliénation tant social qu’individuel […] est de l’ordre de l’éthique.»
Gilbert Durand

Né à l’automne 2007, le Cefri-Jung Champagne est une antenne, en province, du Cercle francophone de recherche et d’information Carl Gustav Jung, créé il y a trois ans par Michel Cazenave pour faire connaître la pensée et l’attitude jungiennes.

Un des buts de ce cercle jungien de Reims sera de contribuer à l’étude et à la diffusion de l’anthropologie jungienne par delà ses implications strictement cliniques et thérapeutiques, sans toutefois oublier cette dimension fondamentale de l’œuvre de Jung, qui se voulait clinicien et nous répète inlassablement qu’il n’est ni philosophe ni métaphysicien, même si sa pensée ouvre de larges perspectives en dehors du champ strict de la psychologie et de la clinique : sociologie, éducation, histoire des religions, intégration et politique au sens large. Ce qui caractérisera ce cercle jungien champenois est un esprit incessant de recherche ainsi qu’une ouverture aux autres courants psychanalytiques et psychologiques (Freud, Lacan, Mélanie Klein, Paul Diel, ...) et aux diverses idées et propositions parcourant et redynamisant notre société triste et dépressive[1]. Une société en rupture de points de repère anthropologiques et éthiques, ou, pour le dire autrement, une société reposant sur des bases anthropologiques désormais inconsistantes[2] ou saturées.

Si, comme l’écrit le philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag, «les sociétés que nous habitons depuis la fin du XXe siècle – dans ce que l’on appelle "l’Occident" – n’arrivent pas à agir», le défi auquel nous sommes individuellement et collectivement confrontés, et ce, de manière apparemment urgente, est de faire émerger une nouvelle forme d’engagement différente du traditionnel militantisme, de faire en sorte que la réflexion philosophique serve l’action, et de ne céder pas au désenchantement ambiant. Le pari actuel que font ceux auxquels l’anthropologie jungienne parle, est qu’elle leur permette, sinon de résoudre tous les problèmes que leur pose la vie, tout au moins d’y puiser une énergie et un élan leur permettant de vivre pleinement, tout en développant incessamment, et parfois dans la difficulté, leur personnalité. La personnalité étant entendue, non comme une instance purement narcissique, mais comme «le déploiement le meilleur possible de la totalité d’un être unique et particulier»[3]. Ce développement de la personnalité ainsi entendue, n’obéissant ni à un désir ni à un ordre extérieur (une instance surplombante et surmoïque) mais étant le fruit lent, progressif et forcément tardif, d’une vocation. Une vocation acceptée en pleine conscience et librement, un peu à la manière de ce que Rainer-Maria Rilke écrit de l’amour, dans ses Lettres à un jeune poète : «cette tâche en vue de laquelle toutes les autres ne sont que préparation». Le pari, donc la conviction intime qui anime les personnes résolument engagées dans le processus d’individuation[4], est que l’anthropologie jungienne peut nous aider sur le plan individuel, en même temps qu’elle peut ouvrir des voies nouvelles à notre société, et exercer une influence et une action que l’on pourrait dire transformatrices et chamaniques[5]. «La découverte des archétypes – écrit Marie-Louise Von Franz – est de plus en plus en voie de fonder une nouvelle anthropologie», et telle est un peu l’ambition du Cefri-Jung Champagne : contribuer à la naissance de cette nouvelle anthropologie dont notre société semble avoir besoin pour survivre et pour sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve. Une nouvelle anthropologie dont la notion et l’expérience vécue d’archétype constitue l’une des clefs de voûte.

Les témoins de notre époque parlent tour à tour de désenchantement, de crise, d’impuissance, de dépression, de tristesse, de destruction, de perte des liens, de peur, de souffrance, d’ensauvagement ou de retour à la barbarie, de malaise social, de désarroi, de conscience malheureuse, de crépuscule des illusions ou de décomposition. À moins qu’ils ne nous invitent, comme Charles Rojzman, à savoir vivre ensemble, à agir autrement[6], à militer sous des formes nouvelles et adaptées au contexte actuel, à retrouver la dimension du tragique[7], à «reconstruire ces liens, ces réseaux, ces combinatoires et ces processus que l’épistémologie rationaliste avait coupés»[8], à renouer avec la connaissance symbolique (en tant qu’elle constitue une véritable gnose qui peut nous guérir et nous sauver), et à nous engager par la pensée et par l’action, au lieu de pâtir et de succomber au climat général de tristesse et d’impuissance. Pour celle ou celui qui, dans son effort de réflexion d’action et de résistance, se rattache expressément à l’anthropologie jungienne, «tout vécu, quel qu’il soit, est archétypique»[9]. Cette attitude anthropologique nous oblige à retrouver derrière les faits de société la dimension de l’archétype, ce que Gilbert Durand appelle, quant à lui, le réel archétypal. Dans cet effort de compréhension et de décryptage des faits sociaux, dans cette action pour transformer en profondeur nos institutions, l’anthropologie jungienne peut nous servir de point d’appui et d’encouragement, dans la mesure où, sans céder à une vision béate qui ignorerait la dimension du mal, elle se caractérise par une confiance raisonnable en l’homme et une conception confiante de l’inconscient. «Pour moi – écrit Jung dans son autobiographie – les rêves sont nature, qui ne recèle la moindre intention trompeuse et qui dit ce qu’elle a à dire aussi bien qu’elle le peut – comme le fait une plante qui pousse ou un animal qui cherche sa pâture»[10]. Autrement dit, l’inconscient n’est ni plus ni moins qu’un processus naturel «dépourvu de tout arbitraire», non empreint de perversité ou d’intention trompeuse. Les images des rêves, les rêves étant une des voie d'accès à l'inconscient, «ne tendent pas à travestir ou à cacher quoi que ce soit; au contraire, regardées comme des paysages très fidèles de la vie intérieure, elles requièrent d'abord cette sorte d'attention confiante qui est si particulière à la démarche jungienne.»[11], ceci ne voulant pas dire que la confrontation avec l'inconscient ne comporte aucun risque. On peut être englouti par l'inconscient !

La deuxième caractéristique de l’anthropologie jungienne est vraisemblablement son esprit d’ouverture, la façon originale qu’elle a de s’ouvrir à l’altérité dans ses dimensions à la fois individuelle, culturelle, éthique et collective[12]. Charles Taylor écrit : «Il y a quelque chose d’autodestructeur dans un idéal d’épanouissement qui refuse le lien avec autrui». Pour Carl Gustav Jung, ce lien avec autrui n’obéit pas à une injonction morale, mais est une nécessité d’ordre intérieur. Comme l’écrit Christine Maillard, «l’individuation, accession du sujet à sa totalité indivise, se réalise bel et bien dans le cadre d’une érotique»[13], car, comme l’écrit Jung dans Psychologie du Transfert, «l’homme sans relation n’a pas de totalité»[14]. L’éthique jungienne n’obéit pas aux injonctions du Moi ou aux ordres d’une instance paternelle surmoïque, elle est le fruit parfois douloureux d’une expérience, l’expérience «du colloque solitaire avec le Soi»[15] qui seule peut nous fournir «une base indestructible» et servir de fondement à une véritable morale, nous empêchant de céder aux injonctions forcément infantiles, versatiles et narcissiques du petit moi, ainsi qu’aux pressions sociales, institutionnelles et collectives. L’anthropologie jungienne s’accompagne d’«un renouvellement des perspectives éthiques»[16]. On peut parler d’une éthique paradoxale qui repose sur «une véritable métaphysique du mal» laquelle postule la positivité du mal.

Le Cefri-Jung Champagne est nourri de cette anthropologie et de cette éthique là. Dans un cadre idéel, idéal et quelque peu utopique, un cadre à la fois souple, ouvert et contraignant, loin de l’esprit de confusion et du syncrétisme ambiant, le Cefri-jung Champagne aimerait faire appel à des conférenciers aux orientations aussi diverses que possible. Il souhaite convoquer d’autres visions anthropologiques proches ou éloignées, faire appel aux sciences humaines, aux sciences dures avec leurs actuelles percées qui rejoignent parfois les intuitions des systèmes spirituels traditionnels, à la sociologie avec des sociologues comme Michel Maffesoli[17], à l'anthropologie avec des anthropologues comme Gilbert Durand, à la pensée de Michel Fromaget, de Raimón Panikkar, ou encore à celle de Daryush Shayagan. Ce cercle souhaite s’ouvrir, au fur et à mesure des conférences, sur d’autres univers culturels, symboliques et mythiques, ainsi que sur d’autres formes de spiritualités, sans négliger l’ésotérisme et la symbolique chrétienne qui ont tant inspiré le père de la psychologie des profondeurs. On aimerait par exemple s’interroger, sur les pas de Jung, avec Fabrice Midal, ce philosophe nourri de bouddhisme, ainsi qu’avec quelques autres comme Bruno Etienne, sur la place du bouddhisme en Occident, et en France en particulier. On aimerait aussi pouvoir inviter Kiran Vyas, représentant en France de la médecine ayurvédique et connaisseur de l’œuvre de Jung et ancien élève de Sri Aurobindo. On aimerait écouter Ysé Tardan-Masquelier, auteur d’un beau livre sur Jung[18], spécialiste de l’hindouisme et versée dans la pratique du yoga. Puisse le Cefri-Jung Champagne réussir à inviter de tels chercheurs à partager avec nous leur riche expérience.

Raimón Panikkar, à la croisée, par sa naissance, de l'Espagne et de l'Inde, de l’Occident et l’Orient, évoque les vertus du dialogue dialogal qui permet à chacun des interlocuteurs d’approfondir sa propre démarche, en la confrontant, avec force et violence, authenticité et respect, à celle de l’autre sans esprit de vaine renonciation ou de compromission, sans exclusion ni fermeture[19]. C’est ce type de dialogue que le Cefri-Jung Champagne aimerait favoriser par ses initiatives et ses rencontres, et contribuer ainsi à la naissance de la postmodernité, avec le nouvel horizon anthropologique qu’elle ouvre devant nous. Le Cefri-Jung Champagne – et ce serait là son originalité – aimerait associer «les deux Carl» : Carl Ransom Rogers et Carl Gustav Jung. L’attitude rogérienne se caractérise, tout comme l’anthropologie jungienne, par un sentiment de confiance et par son ouverture à l’altérité : empathie, regard positif inconditionnel, congruence. Ces deux anthropologies présentent indubitablement des convergences, comme existent des convergences entre Freud, Jung et Lacan[20].

Le Cefri-Jung Champagne aimerait aussi travailler en étroite collaboration avec diverses institutions rémoises : les départements de philosophie et de psychologie comme l’Université Champagne-Ardenne, les diverses associations et les cafés philosophiques existants, avec les représentants sur place des autres courants psychanalytiques, etc.

Notes

[1] Miguel Benasayag et Gérard Schmit, Les Passions tristes. Souffrance psychique et crise sociale, La Découverte, 2003. Et Miguel Benasayag avec la collaboration d’Angélique del Rey, Connaître est agir. Paysages et situations, La Découverte, 2006.

[2] Gilbert Durand, Science de l’homme et tradition. Le nouvel esprit anthropologique, L’Ile verte, Berg International, 1979, p.232 : «La solution du processus d’aliénation tant social qu’individuel, n’est, on le voit, attachée à aucune recette politique non plus qu’à aucune procédure d’analyse psychologique. Elle est de l’ordre de l’éthique, du choix fondamental entre la rigidité ou la transparence "utopiques" qui ne peuvent conduire l’individu ou la cité que vers les compensations paroxystiques, et le "polythéisme" des valeurs et leur mise en cohérence harmonieuse, c’est-à-dire significatives.»

[3] Voir «Devenir de la personnalité», article paru dans Synthèses, revue européenne, Hommage à C. G. Jung, 10e année, décembre 1955, n°115.

[4] Voir Le Vocabulaire de Carl Gustav Jung, Aimé Agnel, Michel Cazenave, Claire Dorly, Suzanne Krakowiak, Monique Leterrier et Viviane Thibaudier, Editions Ellipses, 2005.

[5] Marie-Louise Von Franz, C.G. Jung. Son Mythe en notre temps, Editions Buchet Chastel, 1975, p.117 : « À côté du prêtre, qui veille sur le rituel et les traditions de la collectivité, se tient la figure du chaman qui se distingue par une expérience individuelle du monde des esprits (c’est-à-dire de ce que nous appelons aujourd’hui inconscient) et qui est spécialement responsable de la guérison des maladies individuelles et des troubles de la collectivité.»

[6] Charles Rojzman avec Sophie Pillods, Savoir vivre ensemble. Agir autrement contre le racisme et la violence, La Découverte / Poche, Essais, n°106.

[7] Giuliano da Empoli, La Peste et l’orgie, Grasset, Essai, 2005.

[8] Miguel Benasayag, Connaître est agir, op. cit., pp.192-193.

[9] Christine Maillard, Du Plérôme à l’Étoile. Les sept sermons aux morts de Carl Gustav Jung, Presses Universitaires de Nancy.

[10] Carl Gustav Jung, Ma Vie. Souvenirs, rêves et pensées, Folio n°2291.

[11] Ysé Tardan-Masquelier, Jung. La Sacralité de l'expérience intérieur, Références, Droguet et Ardant, 1992, p.122.

[12] Aimé Agnel a intitulé le petit livre fort éclairant qu’il a consacré à présenter simplement Jung et sa pensée : Jung. La Passion de l’Autre, Les Essentiels, Milan.

[13] Christine Maillard, Du Plérôme à l’Etoile, op. cit.

[14] Carl Gustav Jung, Psychologie du transfert, Editions Albin Michel : «L’homme sans relation (unbezogen) n’a pas de totalité, car il n’accède à celle-ci qu’à travers l’âme, laquelle ne saurait se passer de son autre côté, qui se trouve toujours dans le «tu». La totalité consiste en l’association du je et du tu, qui apparaissent comme des parties d’une unité qui les transcende.»

[15] Marie-Louise Von Franz, C.G. Jung. Son Mythe en notre temps, op. cit.

[16] Christine Maillard, Du Plérôme à l’Etoile, op. cit., p.128.

[17] Michel Maffesoli, Le Réenchantement du monde. Une éthique pour notre temps, La Table Ronde, 2007.

[18] Ysé Tardan-Masquelier, Jung et la question du sacré, Albin Michel.

[19] Raimón Panikkar, Eloge du simple. Le moine comme archétype, traduit de l’espagnol par Alexandra Delfolly, Albin Michel, 1995.

[20] «Freud, Jung et Lacan : convergences et divergences», tel est le titre de la conférence que donnera Michel Cazenave en janvier 2008 pour ouvrir le cycle des conférences.

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Sexualité et spiritualité
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ouvert du mardi au samedi de 10h à 19h30

Programme

Conférence "La psychanalyse et le religieux" par Gérard Haddad et Michel Cazenave
Le 27/11/2008 à 20:00
Foyer Paindavoine à Reims
Deuxième conférence du cycle 2008/2009.

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